Dr Bernard Stoffel, ©2004

Les chevaux ont évolué, comme toutes les espèces animales, dans des zones du monde qui leur permettent en même temps d’échapper à leurs prédateurs et de trouver l’alimentation qui satisfasse leurs besoins nutritionnels.

 

Leur système digestif est conçu en fonction du biotope et du mode de vie de l’espèce : les chevaux sauvages se déplacent continuellement sur de vastes espaces, ils sont toujours en mouvement, l’essentiel de leur alimentation se compose d’herbes et de fourrages riches en cellulose et pauvres en aliments énergétiques, leur plus sûr moyen de défense est la fuite et ils sont toujours prêts à interrompre leur repas pour échapper à un prédateur. Tout au long de l’Evolution, leur anatomie a acquis des caractéristiques que nos différentes races de chevaux domestiques ont conservées.

 

Les grands herbivores ruminants possèdent quatre estomacs différents : les éléments nutritifs et énergétiques sont essentiellement fournis par la digestion microbienne qui y a lieu. Des mécanismes particuliers, dont le plus évident est la seconde mastication des aliments, rendent très efficace l’utilisation de la cellulose végétale. L’absorption intestinale des éléments nutritifs se fait ensuite.

 

Le cheval, lui, est un monogastrique et la digestion fait appel à deux processus successifs : d’abord une phase enzymatique suivie d’une phase microbienne. En schématisant, on peut qualifier le cheval de « ruminant à l’envers ».

 

La connaissance du tractus digestif du cheval permet d’éviter des erreurs de « management » de l’alimentation et permet aussi de comprendre pourquoi le cheval est tellement sujet à des manifestations douloureuses de « coliques ».

 

La cavité buccale.

La longue mâchoire puissante du cheval adulte peut pulvériser des écorces, graines et autres éléments végétaux fibreux : c’est la première étape du processus digestif.

La mastication et la salive jouent un rôle important dans la préparation de la digestion des aliments. La mastication stimule aussi la motricité de l'estomac.

 

La dentition des chevaux est hautement spécialisée. Les dents continuent à pousser pendant toute la vie. A la dentition de lait, succède la dentition adulte dont la formule générale (pour chaque côté) est : incisives 3 sup./3 inf., canine 1/1, prémolaires 3/3, molaires 3/3 (il existe quelques variations individuelles). En principe toutes les dents définitives sont présentes vers l’âge de 48 mois. Toute anomalie de conformation ou de remplacement des dents, tout traumatisme dentaire ou autre incident peut diminuer l’efficience de la mastication. De plus, étant donné que les arcades molaires supérieures sont légèrement plus larges que les arcades molaires inférieures, les bords externes des molaires supérieures s’usent moins, ce qui détermine l’apparition de petites pointes, les « surdents », qui peuvent gêner voire blesser l’intérieur des joues du cheval.

Pendant la mastication, les aliments sont mélangés à la salive. De chaque côté des mâchoires, Les glandes salivaires sont au nombre de trois : l’importante glande parotide (qui s’étend verticalement derrière la ganache), la glande mandibulaire (le long du pharynx) et la sublinguale (sous la langue). Il arrive que l’une ou l’autre de ces glandes soient lésées.  Un cheval adulte sécrète environ 50 litres de salive/jour, qui contient de l'amylase (enzyme digestive). Elle contrôle également l'acidité de l'estomac. Suivant le type d'aliment, la sécrétion salivaire est plus ou moins abondante. Le foin suscite une sécrétion de salive et une mastication intense. C’est pourquoi il est judicieux d’induire la sécrétion salivaire en distribuant du foin avant les céréales ou les concentrés.

 

Le Pharynx

Véritable carrefour des voies digestives et respiratoires, qui communique aussi avec l’oreille moyenne, le pharynx comprend une partie importante, le voile du palais, qui interdit le reflux des aliments dans la cavité buccale en les orientant vers les narines en cas d'obstruction.
Ensuite vient l'épiglotte qui va interdire aux aliments de passer par le larynx dans les voies respiratoires.
Toute cette zone est donc importante et la déglutition, l’action d’avaler, peut être entravée par une lésion, mécanique ou infectieuse, d’une ou l’autre structure qui constitue le pharynx ou y débouche.


L’œsophage et le cardia

L’oesophage est un conduit musculo-membraneux qui fait suite au pharynx et se termine à l’estomac, dans lequel il débouche par l’orifice du cardia.

L’œsophage du cheval est long de 1m20 à 1m50 suivant la taille de celui-ci. Il est d’un calibre relativement modeste : 4 à 6 cm.  Le conduit est donc très long et étroit. Il est doté d’une musculature puissante et en cas d’irritation, de dilatation trop importante, ou d’obstruction, il peut faire remonter les aliments qui seront expulsés par les narines. C’est ce qui se passe avec les repas de céréales ou de granulés avalés trop avidement par le cheval affamé.

 

Le cardia fait donc la jonction entre l’oesophage et l’estomac. Le cardia est formé d’un sphincter (un muscle circulaire qui permet d’ouvrir ou fermer un orifice) très puissant disposé de telle sorte que toute régurgitation est impossible. En conséquence, chez les Equidés, tout vomissement est impossible, normalement (sauf déchirure du cardia lui-même). Il existe donc, des risques de dilatation ou de surcharge de l’estomac lui-même puisqu’une vidange « par le haut » est impossible.

L’estomac

Un des éléments les plus remarquables de l’estomac du cheval est sa petite taille, comparée au volume de l’animal ; sa capacité oscille entre 5 et 15 litres en fonction de l’individu et des repas.

L’estomac se vidange quasi au fur et à mesure de la consommation des aliments, par le pylore qui donne accès à la première partie de l’intestin, appelée le duodénum. Les aliments ne restent pas longtemps dans l’estomac. Le volume de la sécrétion gastrique est relativement peu important et, à cause d'un pH peu acide, la digestion gastrique n’est pas très efficace, même si elle est utile à la dégradation chimiques des aliments. C’est pourquoi les repas doivent être nombreux et peu volumineux, afin d'éviter  que  les aliments passent dans l’intestin en ayant subi peu de dégradation –et perdent ainsi de leur valeur nutritionnelle-, et aussi afin d’éviter que l’estomac reste vide pendant de trop longues périodes, -car il subira alors une montée progressive de l'acidité, qui peut occasionner des dommages à la muqueuse elle-même, et induire des lésions douloureuses-.

A la fin de l’automne, l’estomac des chevaux qui ont passé l’été en pâture peut être colonisé par des larves de gastrophiles, ces grosses mouches qui ont pondu au mois d’août leurs œufs jaunes sur les canons des chevaux : ces larves, si elles sont nombreuses, peuvent provoquer des dommages importants. C’est pourquoi la vermifugation ad hoc de l’automne ne doit pas être oubliée.

 

L’intestin grêle

L’intestin grêle est très développé : sa longueur est de 16 à 24 mètres et son diamètre de 2 à 5 cm. Il comprend trois parties :

  • le duodénum qui rattache l'intestin grêle à l'estomac et mesure environ 1.50m. Le duodénum  reçoit les sucs hépatiques et pancréatiques par des petits canaux qui proviennent du foie et du pancréas, deux organes clés pour l’efficience de la nutrition.
  • le jéjunum qui mesure environ 15 mètres ou plus,
  • et l'iléon qui mesure environ 2 mètres et se rattache au caecum.

 

L’essentiel des mécanismes d’absorption y a lieu.

Environ 75% des sucres solubles (amidon des céréales, glucose,...) sont digérés et absorbés dans l’intestin grêle, sous les actions successives des sucs enzymatiques de la salive, du pancréas, du foie et  de la muqueuse intestinale. Le reste des sucres solubles et tous les sucres non solubles (fibres, cellulose, hémicellulose), passent ensuite dans le caecum afin de subir la dégradation par les enzymes extracellulaires de la flore présente dans le caecum. L’absorption des acides aminés fournis par les protéines y est également très importante. Les matières grasses sont également absorbées.

Les minéraux sont bien absorbés dans l'intestin grêle, sauf le phosphore (P) pour lequel l'absorption se fait plus loin mais de manière très efficiente. Quant au calcium (Ca), il est prélevé dans la partie antérieure, avec une digestibilité voisine de 70%.Le magnésium(Mg), sodium(Na), potassium(K), et les oligo-éléments sont absorbés tout au long de l'intestin.

 

Hormis sa longueur et son faible calibre (environ 4cm), une caractéristique importante de l’intestin grêle est l’ampleur du mésentère (le mésentère est un repli du péritoine qui permet de fixer et relier les organes entre eux dans la cavité abdominale) qui le soutient : on peut voir là une cause prédisposante aux anomalies de position, hernies (en particulier hernie inguinale de l’étalon), torsions, tous phénomènes qui peuvent induire de graves symptômes de douleurs.

Distribuer de grosses quantités alimentaires, de manière irrégulière, peut donc provoquer des troubles très graves.

 

De plus, la muqueuse de l'intestin est sensible à l'adrénaline qui provoque des contractions spastiques de l'intestin grêle, ce qui explique que les stress et troubles de la digestion entraînent des spasmes douloureux, toujours susceptibles de dégénérer. Dans la mesure du possible, il faut éviter de nourrir, surtout avec des aliments concentrés et fermentescibles, un cheval soumis à un stress.

 

L’intestin grêle est aussi l’endroit d’élection pour de nombreuses formes larvaires ou adultes de parasites, qui peuvent diminuer les phénomènes d’absorption ou être responsables d’irritations très graves. Il convient d’appliquer une surveillance et un déparasitage régulier.

 

Le Caecum

Le caecum est un réservoir de 30 cm de diamètre, d'une capacité de 30 à 40 litres et d'1m.20 de long environ. Le caecum est placé dans le flanc droit, après l’intestin grêle qui y débouche par la valvule iléo-caecale, pouvant être considérée comme la limite entre la digestion chimique et la digestion microbienne. En effet, le cheval tire parti également des produits de la fermentation : dans les conditions des pâturages, environ 30% des besoins énergétiques quotidiens du cheval sont couverts par la combustion des produits de la fermentation bactérienne.

La valvule iléo-caecale, à l’instar du cardia dans l’estomac,  représente un endroit de "non retour" et aucun liquide ou gaz produit dans le caecum n’empruntera cette voie. Cet organe est donc sujet aux dilatations, notamment pas des gaz issus de la fermentation.

 

Les micro-organismes font la synthèse des vitamines B et des acides aminés, transforment les hydrates de carbones et la cellulose en acide gras volatils (AGV).

La flore caecale a été identifiée : sept espèces principales de bactéries sont présentes dans le fluide caecal de chevaux en bonne santé, nourris à l’aliment complet : Lactobacilles, Streptocoques, Entérobacilles, Bacilles anaérobies, Clostridies, Bacilli, Streptocoques anaérobies.

Ces sept espèces responsables de la fermentation bactérienne restent en équilibre grâce au maintien d’un pH (taux d’acidité) constant, en cas d’alimentation à base de fourrages. Toute perturbation du pH d’équilibre peut provoquer une dérive majeure de la flore entérobactérienne. L’augmentation trop brutale de l’acidité (traduite par une baisse de PH) qui suit un repas trop riche en glucides peut ainsi induire toutes sortes de troubles : diarrhée, fourbure, « coup de sang », coliques tympaniques,….Il faut maintenir l’équilibre de la flore du Caecum en surveillant les apports alimentaires de céréales et de fourrages, et tenir compte des besoins énergétiques et nutritionnels, en adaptant les apports en fonction du niveau d’activité.


Le gros colon : colon replié et colon flottant

Le colon ascendant, ou colon replié est ainsi nommé parce qu’il est formé de quatre anses volumineuses ; il est d’une longueur totale de 3,50 mètres environ, de 20 à 25 cm de diamètre, et représente un volume de 90 litres.

C'est la partie la plus volumineuse du système digestif.

Il est le siège de processus de fermentation et d’absorption de produits de la dégradation bactérienne.

 

La conformation des « courbures » entre les anses, prédispose aux accumulations des matières, dans certains cas de déshydratation ou de surcharge.  En particulier la courbure pelvienne, juste devant le bassin, est fréquemment le siège de ces accumulations, vu son étroitesse. Comme pour l’intestin grêle, les replis du péritoine qui soutiennent ces organes peuvent être à l’origine de déplacements ou de phénomènes de torsions dont on sait qu’ils sont très graves. Mieux vaut les éviter en abreuvant régulièrement les chevaux et en respectant un bon équilibre alimentaire.

 

Enfin le colon flottant fait 3 mètres de long et a un diamètre d'environ 8 cm. Il a un volume d'environ 20 litres. Il va mouler les matières non digérées sous forme de crottins et débouche dans le rectum

 

Conclusion :

L’habitat et l’alimentation de nos chevaux domestiques, qu’ils soient jeunes, âgés, à l’élevage, en compétition, en boxes ou en prairie, n’ont plus grand-chose à voir avec le biotope naturel de l’espèce équine, qui y avait adapté un système digestif performant mais fragile.

 

Compte tenu de la diversité des situations, il est impossible de donner une recette universelle.

Cependant, quelques mots reviennent pour formuler de bons conseils : fréquence et régularité des repas, équilibre, calme….et observation.

Références :

- Anatomie comparée des mammifères domestiques (R.Barone)

- Anatomie de l’estomac du cheval, ses particularités, C. Degueurce, Ecole Nationale Vétérinaire d’Alfort, Maisons-Alfort, France

-Les effets d’une supplémentation diététique d’argile  (à base de  montmorillonite de sodium et de calcium) sur la digestion des rations à haute valeur énergétique des chevaux de sport. » W.L.Whatmore , BVSc , MRCVS (University of Edimburgh, GB)